samedi 8 mai 2010

2010-04-10 Cérémonie du thé

J'avais déjà bu du thé de cérémonie du thé dans les jardins du Hama-rikyu Teien, parc à Tokyo, mais ce n'était pas une vraie cérémonie du thé : le cadre était beau, dans un pavillon de thé au bord d'un étang avec en toile de fond des arbres et les beaux buildings de Shiodome, mais on y entrait comme dans un moulin, et en guise de cérémonie on pouvait prendre une feuille de papier sur laquelle étaient détaillées certaines des conventions.
Du coup, j'ai profité d'une activité de l'AFJ (association des français au japon) pour tenter quelque chose de plus approchant de la vraie cérémonie du thé à la japonaise. En ce beau samedi, direction un quartier tranquille entre Tokyo et Yokohama, où se trouve la maison de thé, d'école Zen (vous n'avez tout de même pas cru qu'il n'existait qu'un seul type de cérémonie du thé !).
On commence par se familiariser avec les lieux : l'entrée :

Le tout petit jardin (un peu petit par rapport à mes attentes), avec chaque porte qui symbolise le passage d'un univers à un autre :Sur le terrain de la maison de thé se trouve également l'atelier d'un artisan potier fabricant de tous les ustensiles qui entourent la cérémonie du thé : bouilloires, bols, etc. A l'entrée de la maison de thé on voit de nombreuses étagères de tasses, bols, verres, etc. D'ailleurs, la journée a commencé par une explication de l'artisan sur la fabrication des théières :
Principaux commentaires : non, il ne travaille pas habillé comme cela ; une théière met environ 2-3 semaines à être fabriquée ; lors de la fabrication on ne voit le résultat qu'à la fin car en réalité l'artisan fabrique deux moules qui 'emboîtent et séparés par un interstice dans lequel il fait couler le métal, il chauffe, puis finit par casser le moule extérieur et le moule intérieur pour finalement obtenir la théière. Il existe deux sortes de théières : une d'été, une d'hiver (on voit la différence sur la photo ci-dessus) ; celle d'été a une partie supplémentaire pour mettre les braises, tandis qu'en hiver les braises sont dans le brasero de la maison, et la théière est posée dessus.

Passons aux choses sérieuses : après un repas petit kaiseki, la démonstration pour nous expliquer comment nous comporter lorsque ce sera à nous de boire le thé :Les deux personnes faisant la démo sont des apprentis ; la maîtresse de thé se trouve sur le côté, à moitié cachée par le poteau. Il faut environ 10 ans pour devenir maître de thé à raison d'une fois par semaine, et si dès la fin de la première année on a une sorte de premier diplôme, en revanche le dernier grade (celui de maître) ne s'obtient que lorsque son maître décide que l'on est prêt...
Ci-dessous, la servante qui apporte les plats de petits gâteaux et les bols de thé, toujours avec force courbette :
Si je résume les étapes : la servante nous apporte le plat de petits gâteaux ci-dessous :
et s'incline. On s'incline aussi, on prend le plat et on le repose (en signe de respect). Puis on dit "o saki ni" (excusez-moi de me servir avant vous), et on se sert des baguettes pour saisir un gâteau et le poser sur une sorte de papier-serviette que l'on garde avec nous pour toute la durée de la cérémonie. Puis on prend le plat et on le dépose entre soi et notre voisin, on s'incline, il s'incline, prend le plat et le repose en signe de respect, et ainsi de suite. A l'aide d'un couteau-baguette, on découpe des petits bouts du gateau pour le manger, puis on replie soigneusement le papier-serviette (je ne décris pas toutes les conventions).

Arrive alors la servante avec le bol de thé fort, très très vert. Comprenne qui pourra, ce bol sera commun pour tous. On s'incline, on prend le bol et le repose en respect, "o saki ni", on prend le bol et on le tourne 2 fois (je ne sais plus de quelle main), puis on boit sa portion approximative du bol, et on le repose. Là, on se saisit d'une serviette spéciale humidifiée, apportée également par la servante, et on essuie soigneusement l'endroit du bol où on a posé les lèvres. On replie et pose le papier, puis on prend le bol et le pose entre soi et son voisin, où tout recommence jusqu'au dernier invité.

On passe alors à la cérémonie du thé léger (en fait c'est le même thé, mais au lieu de mettre trois cuiller de poudre de thé ils n'en mettent que deux...et diminuent même les doses pour les gaijin-occidentaux). Rebelote pour tout le cérémonial, avec un autre type de gateau, qui lui se prend à la main et que l'on ne coupe pas, et avec cette fois-ci un bol de thé par personne. Une fois le thé bu se rajoute une étape : faire tourner le bol dans ses mains de façon à admirer la pièce de poterie (et féliciter l'hôte pour son goût).
Je dois dire que lors de la démo lorsque les apprentis ont effectué cette étape on a tous éclaté de rire en se demandant bien se qu'ils étaient en train de faire...
De plus, lors de l'étape du thé léger on est sensé boire en faisant du bruit pour montrer que le thé est tellement bon que l'on oublie ses manières ! Aah la subtilité japonaise consistant à avoir de tellement bonnes manières qu'il faut parfois ne plus en avoir :)

Quant aux petits gâteaux, ce sont des sucreries à la japonaise, donc très différentes de ce que l'on peut imaginer : j'ai adoré le premier, sorte de pâte de riz gluante aromatisée aux fleurs de cerisier et fourrée de haricot rouge. Par contre la deuxième sucrerie m'a peu transportée : sorte de pâte de sucre très farineuse... Ces gâteaux sont choisis pour rehausser le goût du thé servi ensuite, c'est pourquoi on commence à chaque fois par eux (ce n'est pas à garder en "dessert" pour faire passer l'amertume du thé !).

Le but initial de la cérémonie du thé, tel que introduit par les moines boudhistes sous influence chinoise, est d'aider à la méditation en se rapprochant des plaisirs simples et de leur éphémérité : que ce thé est bon, mais vite évanoui !
Ce but a pu varier au cours du temps, surtout lorsque le shogun, puissant, interdisait pas mal de choses aux seigneurs qui n'avaient guère plus que la cérémonie du thé pour impressionner leurs hôtes.
Aujourd'hui, qu'en est-il ? pour les japonais, est-ce un prémisse à une méditation sur la beauté de la vie éphémère, ou est-ce devenu un divertissement ? mystère...

Place aux photos : la cérémonie du thé fort se passe dans un petit pavillon de thé isolé, dont voici l'entrée !
En fait, le but était d'obliger les samouraïs à ôter leurs armes avant d'entrer :)
Et puis faire courber l'échine à ses hôtes devait parfois ne pas déplaire au maître de maison...qui lui entre par une porte intérieure :
Dans ce pavillon, on ne se met jamais debout : on est toujours assis à la japonaise (torture affreuse pour nous pauvres occidentaux), et on se déplace à genoux. Il faut aussi éviter de cogner trop dans les parois qui sont loin d'être hyper solides...

Le plafond du pavillon se décompose en trois parties : la partie pauvre pour l'alcôve où la servante prépare le thé, la partie intermédiaire pour les invités de moindre rang, et la partie riche pour les invités de haut rang.

On trouve dans tout pavillon de thé, et d'ailleurs dans toute pièce principale japonaise traditionnelle une alcôve où se trouvent un arrangement floral et une calligraphie, un poème ou une peinture à la japonaise :
Endroit où est préparé le thé :
Ca prend environ une demi-heure, et la préparation est également hyper codifiée ; chaque geste semble relever d'une convention, même les essuyages des ustensiles, la façon de poser le couvercle de la théière sur le repose couvercle, etc. etc.
Puis on nous sert le thé (un bol pour 5) :
La seconde partie, la cérémonie du thé léger, se passe dans une seconde salle, plus grande et dans laquelle les samouraïs pouvaient visiblement entrer avec toutes leurs armes (à moins qu'ils n'aient eu droit qu'au thé fort ?) :

Fin de la demi-journée, toutes les habiles mains ayant participé à la préparation du repas kaiseki, à la préparation du thé fort, du thé léger et au service se présentent :
Photo de l'extérieur de la maison de thé : on est au coeur de la plus grande mégalopole mondiale, mais il y a un brin de verdure, quelques rizières, les derniers cerisiers en fleur, et des marchands de patates douces chauffées au charbon :

Conclusions de la journée :
- j'ai au final appris pas mal de choses sur les théières grâce à l'artisan passionné
- le jardin m'a un peu déçue car je m'étais imaginé que la promenade dans un magnifique jardin japonais faisait partie intégrante de la cérémonie du thé, or cela ne semble pas être le cas
- le repas était excellent
- le cérémonial est réellement très codifié (trop?), et c'est marrant à faire une fois, mais ce ne serait pas mon truc de passer 10 ans à le répéter 52 fois par an pour devenir maître de thé...
- le thé est vraiment différent de ce que l'on boit tous les jours, et je trouve que ça vaut le coup d'en faire l'expérience
- avec la déco des maisons de thé on voit le lien avec tous les autres arts japonais : la calligraphie, le haiku, l'arrangement floral, la peinture japonaise, et l'art de rester assis par terre pendant des heures !
Mais qu'est-ce que cette cérémonie est codifiée et fait très peu naturel !

Addition après publication : en plus de favoriser la méditation via l'éphémérité des choses, la cérémonie du thé doit permettre aussi de rechercher "la beauté sublime qui se cache dans l'apparence modeste et imparfaite". De plus, la préparation du repas ou du thé sert, via des actes très simples comme "rechercher de l'eau (...), à se cultiver et à s'élever soi-même". Et la permanence de forme de la cérémonie du thé (très semblable à celle qui se pratiquait plusieurs siècles auparavant) amène à "développer l'élaboration de soi et l'enrichissement culturel comme autrefois et comme en dehors du temps".
Citations extraites de la notice explicative fournie par l'école de thé Urasenke.

4 commentaires:

Unknown a dit…

Ca dure combien de temps en tout? (J'imagine que ca dépend du nombre d'invités)

Caroline et Aurèl a dit…

En comptant large, 2h30 :
- 1h pour le repas petit kaiseki (partie intégrante de la cérémonie du thé)
- 45 minutes pour chaque thé car 1/2h de préparation incompressible (évidemment la préparation du thé fait partie intégrante de la cérémonie...)

Unknown a dit…

Hmmm ce qui fait un peu plus de 54 jours à temps plein sans dormir pour devenir maître de thé...
Ce qui est assez négligeable à l'échelle d'une vie pour pouvoir dire "je suis maître de thé"...

Caroline et Aurèl a dit…

lol
vu sous cet angle, effectivement !